A propos de Jardin Blanc, de Laura Alcoba

Laura Alcoba sera mon invitée à la librairie La Terrasse de Gutenberg le jeudi 8 avril 2010 à 20h.

Cet article est paru dans le Magazine des Livres.

Croire aux fantômes

Dans Manèges, paru chez Gallimard en 2007, Laura Alcoba reconstituait par petites touches sensibles son enfance volée sous la dictature argentine. Vus à hauteur de petite fille les événements qui, de 1976 à 1983, endeuillèrent, et pour longtemps, le pays de ses origines s’y révélaient dans toute leur violence absurde, leur opacité. La « Guerre Sale » y était évoquée avec tant de justesse que le livre a trouvé un écho considérable et persistant en Argentine, en Espagne et ailleurs dans le monde.
Après ce récit autobiographique où l’on sentait déjà frémir l’écrivain, Laura Alcoba aurait pu poursuivre sur sa lancée et écrire la suite : son exil en France. Là encore elle aurait sans doute choisi les mots et l’angle justes. Jardin blanc n’est pourtant pas la mise noir sur blanc de son déracinement. Pas directement. L’auteur a fait cette fois œuvre de fiction. Et c’est bien la même voix, flutée, vive, celle d’une fée mi-Clochette mi-Carabosse, qui entremêle ici trois fils de vie. Alcoba a écrit son roman de l’exil, mais l’exil n’est pas le sien.
Dans le Madrid des années 60, une poignée de personnages vont se croiser autour d’un petit jardin blanc. Il y a Carmina, porteuse de ces secrets qui chassent les jeune filles hors des terres d’innocence. Carmina dont les silences et la sobriété rendent plus théâtrales encore les confidences d’Ava Gardner, son goût immodéré pour les sol y sombra, son amour assumé des beaux mâles. Comme si l’une était le contrepoint de l’autre. Dans le même immeuble donnant sur ce jardin que « Madame Gardner veut voir toujours plus blanc » vit – ou plutôt tourne en rond – le General Peron. Réduit à l’impuissance, à l’attente d’une hypothétique et humiliante convocation de Franco, il semble veillé sans relâche par un fantôme : celui de sa chère Evita emportée par un cancer à l’âge de 33 ans et dont le corps embaumé à disparu au moment du coup d’état militaire, en 1955. Les pages où sont chroniquées sa déchéance physique puis le rapport quasi amoureux qu’instaure son embaumeur avec celle qui devra être son chef d’œuvre sont parmi les plus belles du roman. Les plus singulières aussi. Car ces pages donnent à cette âme errante une présence plus charnelle et plus clairvoyante que celle des vivants. On repense alors à la petite fille de Manèges, hantée par les disparus, longtemps empêchée par l’interdiction de dire et l’impossibilité de comprendre. Cette petite fille là, celle de la dictature, à qui l’on intimait de se taire, cette petite fille qui vivait avec la peur comme d’autres avec l’espoir ou la joie, la petite Laura, donc, a sans doute souvent rêvé d’interroger les morts. Laura Alcoba, devenue écrivain, ne l’oublie pas, l’invisible cohorte ayant emporté avec elle des pans entiers de leur histoire commune.
Confiés à d’autres personnages, dans d’autres lieux, c’est un peu de cette violence, de ces déchirures et de cet exil que l’auteur met en scène dans Jardin Blanc. Sans bruit ni fureur mais avec force. Car c’est, entre autres, ce que réussit la littérature : recueillir et nous confier le murmure ininterrompu des revenants.

Jardin blanc, roman, Laura Alcoba, Gallimard, 2009.

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